« L’entretien-rénovation de bâtiments, un effet d’aubaine à relativiser »

Vincent Desruelles, directeur d’études Xerfi vient de publier « Rénovation des bâtiments : comment libérer le potentiel de croissance ? Les enjeux et défis clés pour structurer la filière à l’horizon 2024 », il revient sur ses principaux enseignements.
Le marché français de l’entretien-rénovation de bâtiments devrait s’envoler à moyen terme ?
Largement soutenu entre autres par le Plan de relance, l’accélération de mesures coercitives ou encore l’attention accrue au domicile avec le télétravail, le marché français de l’entretien-rénovation de logements et bâtiments publics – aujourd’hui estimé à 100 milliards d’euros (dépenses annuelles dont 70% pour le logement) – va connaître une dynamique de croissance inédite.
L’essentiel des dépenses concernera les gros travaux énergétiques comme l’isolation des murs, parois vitrées, toitures et planchers ainsi que le remplacement des systèmes de chauffage et d’eau chaude. Résultat : le marché devrait s’apprécier de 6% par an en moyenne d’ici 2024 dans le résidentiel comme dans le non résidentiel, selon nos calculs. Pour autant, tout son potentiel ne sera pas libéré. Malgré ces perspectives prometteuses, le segment des passoires thermiques pourrait en effet décevoir.
La loi Climat et résilience a fixé à 2025, 2028 et 2034 l’interdiction de la mise en location des biens respectivement classés en étiquettes G, F et E. Or, le passage en étiquette D des 4,4 millions logements classés E et moins coûterait environ 150 milliards d’euros, d’après nos estimations. Une facture conséquente pour les propriétaires (particuliers et bailleurs sociaux) – autour de 34 000 euros par bien – et pour laquelle les dispositifs actuels semblent insuffisants.
L’éradication des passoires thermiques se heurtent de fait à plusieurs obstacles, au premier rang desquels l’aspect financier, notamment pour gagner une étiquette dans des zones où le coût de l’immobilier est peu élevé. Pour massifier les opérations de rénovation, les entreprises du bâtiment devront en outre pallier le manque de main-d’œuvre alors qu’ils rencontrent des difficultés majeures de recrutement. Et si les ménages (90% des dépenses annuelles d’entretien-rénovation dans le logement) bénéficient de nombreux soutiens financiers (subventions avec MaPrimeRenov’, prêts aidés, dispositifs fiscaux et une multitude d’aides locales), le maquis administratif nuit à la lisibilité de l’offre. Le lancement d’un guichet unique, FranceRenov’, pourrait clarifier les choses à compter du 1er janvier 2022. Bref, si les facteurs de soutien au marché ne manquent pas, l’effet d’aubaine – aussi bien pour les bailleurs que pour les acteurs de la filière – est à relativiser.
Comment s’organise le paysage concurrentiel de la filière ?
Le marché de la rénovation des logements et bâtiments tertiaires comporte quatre grandes catégories d’intervenants. Les premiers sont les acteurs du bâtiment, grands groupes comme artisans dont le champ d’intervention est extrêmement large, de la réhabilitation lourde avec services associés aux petits travaux dans les logements. Dans cette catégorie figurent aussi les spécialistes du génie climatique, constructeurs de maisons individuelles (Hexaom) ou promoteurs se développant également dans la rénovation.
La deuxième famille regroupe les fabricants de matériaux comme Saint-Gobain, Etex ou Knauf France qui structurent leur offre pour se positionner sur le marché. Les distributeurs, GSB (Bricorama France, Castorama France, Brico Dépôt) et négoces (Point.P, SGDB France, VM Matériaux de construction, BigMat France) qui ambitionnent de mieux accompagner les ménages et artisans dans leurs projets (conseil, formation, accès aux aides…) forment la troisième catégorie. Enfin, les intermédiaires, délégataires CEE ou plateformes d’intermédiation ferment le ban. Le paysage concurrentiel comprend à la fois des acteurs indépendants (AlloMarcel.com, hemea), des filiales de grands groupes (Izi by EDF, MesDépanneurs.fr, La Maison Saint-Gobain) ou des nouveaux entrants comme Urenov.
La filière semble donc pécher par son manque de structuration ?
Très atomisé, le marché de l’entretien-rénovation intéresse de plus en plus de très grands groupes qui cherchent à le structurer. La rénovation est de fait une porte d’entrée vers des prestations d’exploitation, maintenance et contrôle des consommations d’énergie, c’est-à-dire des activités qui génèrent des revenus récurrents. Dans ce segment aux perspectives alléchantes, Bouygues va prochainement occuper une place centrale suite à son rachat d’Equans à Engie.
L’intermédiation entre les ménages et les professionnels constitue un levier privilégié pour structurer une offre en rénovation. EDF, Engie ou Saint-Gobain exploitent des plateformes de travaux tandis que TotalEnergies et La Poste conseillent et mettent en relation particuliers et professionnels grâce aux dispositifs CEE. Ces acteurs capitalisent sur le vaste vivier de clients pour obtenir des prospects qualifiés pour les artisans.
Les majors cherchent également à jouer un rôle de prescripteur pour leurs propres solutions (matériaux pour Saint-Gobain ou services d’efficacité énergétique pour EDF, Bouygues ou encore Vinci). Présent dans la fabrication et la distribution, Saint-Gobain mise sur la formation des artisans pour consolider ses positions sur le marché de la rénovation. Pour sa part, EDF ne manque pas d’atouts en raison de sa présence comme fournisseur d’énergie, à la tête d’une plateforme (Izy by EDF), les travaux (Dalkia) et d’une offre élargie en efficacité énergétique auprès des ménages, entreprises et collectivités.