Focus. Un cinéma « à énergie positive » en construction dans l’Aube

À Pont-Sainte-Marie, près de Troyes (Aube), la première botte de paille d’un cinéma qui sort de l’ordinaire a été posée il y a quelques semaines. Le bâtiment a été imaginé avec une volonté : minimiser au maximum son impact carbone. Il devrait même être le premier cinéma à énergie positive, grâce à des panneaux solaires.
Des cinémas les plus vertueux possible, voilà l’objectif affiché par Utopia. Au sein des structures de ce réseau art et essai, pas de vente de confiserie et la diffusion de films indépendants, qui ont un bilan carbone « bien moins élevé qu’une grosse production », ou encore des salles de petites tailles qui permettent l’utilisation de projecteurs moins gourmands.
À Pont-Sainte-Marie, le septième cinéma du réseau est en train d’être construit. Un lieu d’implantation qui a été choisi avec soin, alors que le transport du public est le plus gros poste d’émission carbone d’un cinéma (lire encadré). « Nous sommes à trois kilomètres de Troyes, il est donc possible de venir en vélo ou à pied », précise Anne Faucon, à l’initiative du projet. L’endroit est également accessible en transports en commun.
Le bâtiment se compose de fondations en béton ainsi que d’une structure faite en bois et une isolation en bottes de paille. Une noue végétalisée servira à conserver l’eau sur le terrain. « Nous avons utilisé des matériaux biosourcés au maximum et optimisé l’utilisation de chaque centimètre du terrain. La pente naturelle nous a poussés à aménager les deux plus grandes salles avec des gradins, qui nous permettent de loger en dessous les salles de compostages nécessaires aux toilettes sèches, ainsi que la chaufferie biomasse », détaille le dossier présentant la future structure. Deux autres salles, plus petites et de plain-pied, seront accessibles pour les personnes handicapées.
Les plus hauts niveaux de performance énergétique visés
Le bâtiment est compact et la taille des salles réduite pour réduire la consommation énergétique. Le chauffage était d’ailleurs une réflexion importante pour l’équipe. « C’est un poêle biomasse, aux granulés de bois. Pour la climatisation, qui est nécessaire à cause du matériel de projection, on tend le plus possible vers un rafraîchissement de l’air. Nous avons traqué tout ce qui pouvait être des dépenses ou des consommations inutiles et tout calculé au plus juste avec une étude thermodynamique. Des tests d’étanchéité à l’air vont aussi être faits. Nous ne sommes pas soumis à la RT2012 mais nous avons tenté au maximum de tendre vers un bâtiment passif. »
Le toit sera équipé de panneaux photovoltaïques. Au niveau des performances du énergétiques du bâtiment et des émissions de gaz à effet de serre, « nous visions le label E+C au niveau 4, qui est le plus haut niveau (NDLR il correspond à un bâtiment avec bilan énergétique nul (ou négatif) sur tous les usages et qui contribue à la production d’énergie renouvelable à l’échelle du quartier), ainsi que le niveau carbone 2 (NDLR il nécessite un travail renforcé de réduction de l’empreinte carbone des matériaux et équipements mis en œuvre, ainsi que celui des consommations énergétiques du bâtiment). »
Un modèle qui se veut reproductible
Pour construire le projet, Anne Faucon s’est entourée d’un bureau d’études, d’architectes et d’entreprises locales, dès que c’était possible, à l’image des ateliers Valentin Bouvet, qui se sont notamment chargés de la charpente. Coût estimé de l’opération : 1,6 million pour le bâtiment, 2,6 millions en comptant aussi les équipements, les honoraires et les lots techniques. « Je me suis heurtée à des manières de penser, il a fallu changer les habitudes. Beaucoup pensaient à tort qu’une telle construction allait forcément coûter plus cher, explique Anne Faucon. Nous avons tenu à contenir les coûts de construction dans la ligne des ratios de l’Agence pour le développement régional du cinéma pour prouver que le modèle est reproductible. »
L’équipe a donc dû faire des arbitrages : « Pour les équipements liés au cinéma, nous ne pouvons pas travailler avec des entreprises locales car c’est un domaine très spécifique. Nous aurions aussi aimé faire un toit en paille et bois mais cela pèse lourd, cela aurait nécessité des murs plus épais, ce qui implique plus de bois sur les murs et de béton en dessous. » Il a aussi fallu composer avec les contraintes appliquées au ERP et des normes encore peu ouvertes aux matériaux biosourcés et/ou récupérés. « Nous aurions pu faire une rambarde en merisier ou chêne, avec du bois récupéré, mais pour les autorisations en matière de sécurité incendie, c’est trop compliqué lorsqu’il ne sort pas d’une usine. »
Anne Faucon espère en tout cas que le cinéma servira de prototype. « Nous voulons montrer que la construction de cinéma plus vertueux est à la portée de tous. Nous nous apercevons peut-être que nous avons fait des erreurs et nous préviendrons les autres. » Petit à petit, les travaux avancent, malgré un contexte difficile. Le Covid ainsi que la hausse des prix des matériaux et la guerre en Ukraine impactent le chantier. L’ouverture est prévue d’ici septembre.







Quel bilan carbone pour les salles de cinéma ?
Dans un rapport sorti en décembre 2021, The shift project décrypte l’impact carbone du secteur culturel en général. Le secteur du cinéma est un enjeu important : avec 2 041 établissements et 1 138 530 fauteuils, le parc cinématographique français est le plus dense d’Europe et se place au 4e rang mondial. Différentes structures ont été interrogées par le think tank pour estimer leur bilan carbone. Résultat, l’écrasante majorité des émissions provient du transport des spectateurs (en moyenne, 85%). Viennent ensuite les impacts du bâtiment et du parc automobile, du trajet domicile-travail des employés, des sources fixes de combustion (chauffage au gaz, notamment), ou encore de l’achat de produits (confiseries) et les services de prestation.
The shift project a établi plusieurs recommandations des plus faciles à réaliser, comme encourager la marche, le vélo et le covoiturage pour les spectateurs, l’éclairage Led, l’amélioration de la maintenance des bâtiments, l’approvisionnement local pour les confiseries… Des mesures qui, si elles sont réalisées dans leur ensemble, permettront d’ici 2030 de réduire le bilan carbone des salles de 19,2%, précise The shift project.
Mais elles restent insuffisantes pour respecter les accords de Paris et l’objectif de réduire à 2 C le réchauffement climatique. Pour cela, des actions plus difficiles devront être mises en place : renoncer à certaines technologies trop gourmandes, réduire la taille des salles de cinéma, ne créer de nouveaux cinéma que dans des bâtiments existants, rapprocher les cinémas de la population, réduire le nombre de places de parking
Le rapport de The shift project Décarbonons la culture est disponible à cette adresse : https://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/12/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v3.pdf