Cas pratique. À Joinville, une stratégie globale pour réhabiliter le bâti du centre ancien

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Bâti dégradé et désintérêt pour le centre-ville dans un contexte global de baisse de la population… Face à ces constats, la commune de Joinville (Grand Est) a mis en place une stratégie couplant incitation et obligation pour rénover les bâtiments du centre historique. Explications avec Anthony Koenig, chef de projet urbaniste de la ville.

« Le constat est compliqué depuis de nombreuses années, à Joinville comme dans beaucoup de communes rurales. Une désindustrialisation, un héritage patrimonial ancien et dégradé, avec des maisons qui s’effondraient… Du potentiel, mais un centre-ville qui fait face à une saignée démographique, sociale et économique, avec une décroissance depuis 1982 », décrit Anthony Koenig, chef de projet urbaniste de la commune.

Un projet visant à réhabiliter le centre a donc été initié en 2010 et lancé concrètement en 2012. D’abord, un accompagnement a été demandé à la préfecture et à l’Etat. Six étudiants de Polytech Tours ont également été mandatés pour établir un premier diagnostic du bâti et des perspectives d’actions. « Mon poste d’urbaniste a été créé parallèlement, ainsi que celui d’une chargée de mission patrimoine, quelques années plus tard. Le but, structurer l’action, se dire “Comment baisser la vacance des logements, alors qu’il y a beaucoup plus d’offres que de demandes ?” », explique Anthony Koenig.

Des mesures incitatives et des obligations

La Ville a décidé l’arrêt total de l’étalement urbain. Car « malgré la baisse de population (de 4 804 en 1982, 3 286 en 2015), des lotissements continuaient à être construits en périphérie, rappelle Anthony Koenig. Tout l’enjeu est aussi de convaincre les communes aux alentours de faire la même chose, sinon les bénéfices sont limités. Le choix a été fait de se concentrer sur la rénovation des bâtiments privés du centre-ville, qui composent la majorité du parc, avec un peu de bâtiments publics, pour montrer l’exemple ».

Pour cela, de nombreux outils ont été mobilisés : une Aire de valorisation de l’architecture et du patrimoine (Avap) a été créée, devenue SPR (Site Patrimonial Remarquable) depuis la loi LCAP. Pour le côté incitatif, l’OPAH/RU, un programme pour la réhabilitation du parc privé, permet de mobiliser différentes aides financières et humaines. En mairie, un guichet unique a été ouvert pour tous ceux qui veulent mettre en place des opérations de rénovation, un accompagnement pour monter un dossier de demandes d’aides est également mis en place… « Les aides de l’Anah sont boostées par la Ville et la Région. Par exemple, 40 % de financement, sans plafond, sur une réhabilitation en cœur de ville qui touche la façade, une toiture traditionnelle, des fenêtres en bois… »

L’action concerne aussi les commerces : un accompagnement et des aides financières sont apportés lors d’une installation dans le centre. Des mesures contraignantes ont aussi été mises en place, avec une opération de restauration immobilière (ORI), qui va jusqu’à l’expropriation, des arrêtés de péril, des abandons manifestes, des biens vacants et sans maîtres. « Nous utilisons la carotte et le bâton », résume Anthony Koenig.

Depuis 2012, plusieurs types de rénovations ont été menés, initiées par la Ville ou les particuliers : « Ça dépend de l’état de dégradation : parfois, quand il y a une urgence, cela peut faire peur, donc la Ville prend la main. Des programmes sont aussi mis en place avec un bailleur public qui possède du bâti des années 60, 70 et 80. Nous travaillons avec lui à faire des rénovations de qualité. Des opérations ont également été menées avec le bailleur public sur deux immeubles en centre historique et deux autres devraient suivre. Nous sommes en zone détendue donc le but est de s’adapter aux possibilités, aux projets… »

Des rénovations de qualité

Les artisans locaux sont mobilisés. « On ne peut rien réussir sans les artisans, pour la qualité des matériaux et la performance énergétique, il y a un enjeu écologique. Le défi, c’est aussi la formation. Nous organisons des réunions de sensibilisation et des réunions au cas par cas avec des entreprises demandeuses. Quelques entreprises sont d’ailleurs moteur et créent du lien, pour pouvoir répondre à des appels d’offres à plusieurs, par exemple. » Des chantiers participatifs sont aussi organisés, avec les entreprises, pour le grand public. Ces événements permettent de montrer des techniques et des matériaux naturels, pour donner envie aux habitants de mener ce type de rénovation. 

Car, qui dit patrimoine ancien, dit aussi rénovation particulière. Et l’objectif est surtout de mener des restaurations respectueuses de l’environnement et de ce patrimoine. « Nous privilégions tous les matériaux traditionnels, recyclables, qui sont durables par essence. C’est un travail important qu’on essaie de faire en local en utilisant le patrimoine pour faire passer ce message environnemental. Dans le centre, ce sont surtout des maisons en pan de bois, du moellon, de la brique… Pour les restaurations, la chaux et le chanvre sont utilisés pour faire du béton de chanvre. C’est un excellent matériel qui donne un bon confort thermique », indique Anthony Koenig.

Plus d’une centaine de réhabilitations

Une recherche de qualité payante. Des labels patrimoniaux ont été attribués à la commune : des rubans du patrimoine, les homologations “petite cité de caractère” et “village étape”. Le prix Fibois Grand Est et le prix René Fontaine ont aussi été décernés à une réhabilitation réalisée en cœur de ville. « C’était une carcasse d’immeuble. Il n’y avait plus de plancher, plus de cheminées, juste une toiture en mauvais état, la ville l’a récupéré et tous les murs ont été gardés, les niveaux refaits. Nous avons travaillé avec du bois, des matériaux et isolants naturels… »

Même s’il est encore trop tôt pour tirer les premières conclusions du projet, « plus de 100 logements privés ont été réhabilités. À cela s’ajoutent près de 200 logements rénovés avec le bailleur public. Sur un parc de 2 000 logements, c’est conséquent, se réjouit Anthony Koenig. La transition est longue, mais avant, les maisons du centre-ville se vidaient et nous commençons à voir du monde y revenir. »

Crédit photos : ville de Joinville

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